Copyright Joey Karier @jo_krr

Article

La figure de la star / Sortir des dynamiques hiérarchiques dans le cinéma (3/5)

- Jeanne Clerbaux

Nous entendons par “stars”, ces personnes qui disposent de privilèges particuliers que les autres travailleur.euse.s n’ont pas, sur un plateau de cinéma.

Par exemple, le fait d’avoir un chauffeur attitré et indépendant de toute contrainte horaire, ou le fait de pouvoir exiger certaines choses (avec l’argument de poids que le film peut ne pas se faire en cas d’insatisfaction) sont de réels freins à des avancées tant écologiques que sociales. 

Il est évident que certaines considérations sont bien entendues légitimes : en effet, les acteur·ice·s sont le visage du film et de bonnes conditions sont nécessaires pour se concentrer sur le jeu. Dans certaines situations, pour des raisons de santé, physique ou mentale, il y a lieu de faire de la “discrimination positive” envers les acteur·ice·s. Cependant, dans la pratique, l’abus de cette position est extrêmement fréquent. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre les éléments qui améliorent l’œuvre et ceux qui ne sont rien de moins que des caprices de star. 

Qu’en est-il quand un milliardaire vient en jet privé depuis le sud de la France, manger un burger avec un vieil ami comédien sur le plateau et repart chez lui une heure plus tard ? 

La réponse à cette question semble peut-être aisée, mais cette réalité n’est pas pour autant une fiction. Dans d’autres cas, moins grotesques et plus fréquents, la réponse n’est pas si simple. 

Qu’en est-il d’un·e comédien·ne qui demande une loge chauffée à l’aide d’un groupe électrogène juste à côté du plateau (qui constitue un coût environnemental significatif), alors que toute l’équipe technique fait des efforts pour réduire l’impact carbone du film? Qu’en est-il des allers-retours avec chauffeur·euse seul·e en voiture pour gagner 15  minutes de sommeil ?

Certes, l’expérience d’un tournage est éreintante et chacun veut se préserver, à raison. Mais où est la limite ? L’idée ici n’est pas d’apporter des réponses toutes faites, mais simplement de soulever des questions. 

La question des privilèges sur un plateau est centrale car elle constitue elle aussi un pouvoir, un mécanisme de domination. Que se passe-t-il quand Gérard Depardieu attouche des techniciennes sur les plateaux ? Un long silence. La domination coince et contraint à ne pas dénoncer. 

Cette problématique n’est bien sûr pas inhérente au cinéma, mais le milieu de la Culture au sens large est particulièrement concerné par ces figures, majoritairement à cause du phénomène de “starification”. On la connaît également dans la musique, mais aussi dans le sport : par exemple quand la qualité de l’air parisien devient une préoccupation majeure à l’approche des Jeux Olympiques pour les athlètes. Des dispositifs coûteux et performants sont installés pour prendre soin des poumons de personnes qui y resteront pour quelques semaines, alors que d’autres respirent cet air pollué depuis des dizaines d’années, dans l’indifférence générale.

Comment faire mieux ? Peut-être déjà d’arrêter de penser que le statu quo est immuable. 
Amener ces sujets sur la table avec les stars présentes sur les plateaux. Personne ne descend d’un piédestal de son plein gré, cela demande de l’accompagnement. Ces stars prennent la place qu’on leur laisse, à nous donc de construire ensemble les contours d’un espace juste et légitime.

Pour en revenir au cinéma, si l’écart semble incommensurable, la bonne nouvelle est que la marge d’amélioration en est d’autant plus grande. Le collectif CUT! (comptant notamment parmi ses membres Jérémie Renier et Cyril Dion) a publié récemment une charte d’engagement des actrices, acteurs et agents artistiques. Cette charte reconnaît notamment l’influence qu’ils/elles ont sur les jeunes générations, et s’engage à entretenir une cohérence entre leurs discours, leurs actes et leurs partenariats. Elle engage également à une limitation de leurs déplacements longue distance, à un promotion de la mobilité douce, à une diminution de standings de leurs hébergements… S’il s’agit là d’une première étape, elle n’en est pas moins essentielle. 

Lire l'article suivant : la figure du mécène (4/5)