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La figure de l'éco-référent.e / Sortir des dynamiques hiérarchiques dans le cinéma (5/5)
L’éco-référent.e est un nouveau métier, de plus en plus présent.e sur les plateaux (en Europe comme outre-Atlantique). De nombreuses certifications existent : Green Film (Belgique et Italie), Ecoprod (France), Albert (Royaume-Uni), Green Motion (Allemagne),…
Pour autant, le potentiel de ce nouveau métier n’est encore que trop peu exploité et sa place au sein d’un plateau pourrait changer la donne.
Comme son nom l’indique, cette personne est référente en matière de durabilité (et non responsable de l’empreinte carbone du projet !). Elle est compétente pour accompagner le projet dans l’obtention d’une certification, pour développer une stratégie de durabilité, dresser un bilan carbone prévisionnel, conseiller dans le choix des décors et aider les différents départements à prendre des mesures spécifiques. Dû à son existence émergente, l’éco-référent·e se voit régulièrement confier des doubles casquettes. Il n’est pas rare qu’il/elle soit également assistant·e de production ou régisseur·euse. Cependant, la place qu’il/elle occupe au sein de la hiérarchie est une question stratégique et centrale.
D’après différents témoignages de terrain, la tendance est la suivante : si cette personne fait partie de la production, elle risque d’être perçue comme imposant une volonté venue d’en haut. À l’inverse, si elle appartient à l’équipe de régie, elle risque de ne pas être prise suffisamment au sérieux par le reste de l’équipe.
Évidemment, comment considérer de manière égale la parole d’un.e éco-référent.e face à un.e chef.fe opérateur.ice qui serait payé.e 4 fois plus que lui/ qu’elle ? La position actuelle défendue, la plus souhaitable, est que l’éco-référent·e soit être un·e chef.fe de poste à part entière.
Mais ne peut-on pas aller plus loin ?
Par exemple, lors du tournage du film belge Le Syndrome des Amours Passées, réalisé par Ann Sirot & Raphaël Balboni en production légère, le plateau ne comptait que 4 échelles de salaires, assez rapprochées (comédien.ne.s compris.es). Cette démarche démontre une réelle tentative de justice sociale au sein de l’équipe. Par ailleurs, ce tournage s’est également inscrit dans une démarche éco-responsable assez naturellement. (joindre article) Et cette démarche ne les a nullement empêchés d’être sélectionnés au Festival de Cannes en 2023.
Dans un monde parfait qui respecterait la finitude des ressources, il est évident que nous n’en aurions pas/plus besoin d’éco-référent.e.s, car les films se tourneraient dans un respect général des limites planétaires. Mais pour l’instant, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur cette ressource. Quitte à ce que ce poste existe, autant qu’il permette alors également de repenser plus largement ce qu’implique une dynamique écologique.
Diminuer l’empreinte carbone du film, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En effet, la question n’est pas tant de passer à une situation débordante de gaspillage à l’austérité. Une dynamique réellement écologique, c’est tendre vers une autre abondance : une abondance de lien, de sens. C’est questionner nos pratiques en profondeur et se demander ce qu’on fait là, comme l’atteste le travail de la dernière étude d’Ecoprod en 2020.
Aime-t-on notre travail ou est-on simplement là pour remplir un cahier des charges ? Comme témoignait un technicien dans cette étude: “on ne mange pas un gâteau fait maison comme des pépitos”. L’écologie au sens large, c’est restaurer le lien avec la nature et avec les autres, c’est la convivialité, la solidarité et le respect.
Le démantèlement des privilèges et l’inclusion sur les plateaux peuvent et doivent être activement défendus à ce titre.
Imaginez une dynamique de tournage, où vous mangez les légumes du jardin de la maison dans laquelle vous tournez ? Imaginez un vide-dressing à la fin du tournage avec les vêtements qui ont été utilisés, où vous pouvez aussi amener ce que vous ne mettez plus ? Imaginez que le bois du décor de marché de noël dans lequel vous avez tourné, soit réutilisé par la commune pour faire un atelier de nichoirs à oiseaux qui rassemble toutes les générations de la commune?
Ces démarches ne sont pas des utopies, ces exemples ont eu lieu. C’est possible, il suffit de laisser l’espace nécessaire à ce genre d’initiatives. D’autres chantiers essentiels sont également à mener de front, mais ces nouveaux métiers, tels que les coordinateur.ice d’intimité et les éco-référent.e.s, constituent des avancées sociales tout à fait souhaitables et doivent leur existence à des personnes qui l’ont décidé, à un moment. Vous pouvez faire partie de ces personnes. A nous de nous en saisir pour façonner un cinéma qui rend le monde meilleur.