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“Dragons: le film” : quand notre imagination bat de l’aile
Il y a quelques semaines, je me suis retrouvée dans une salle de cinéma Kinepolis pour y voir Dragons, l’adaptation en film du dessin animé éponyme. Quand je dis adaptation, j’entends une copie conforme plan pour plan.
Au-delà du caractère réussi ou non de ce film, la question qui m’anime cependant est la suivante : pourquoi refaire un film qui existe déjà ? Le film original est sorti en 2010, ce n’est donc pas comme s’il avait fallu faire coloriser des pellicules pour faire revivre un chef d’oeuvre à une génération qui ne le connaissait pas et n’en avait jamais entendu parler.
Où est passée notre créativité ?
Quelle est cette drôle d’obsession qu’on a pour la nouveauté ? Et en parallèle, paradoxalement, ce désir moelleux de réentendre les mêmes histoires encore et encore?
La programmation du Kinepolis cette semaine-là : Jurassic World Renaissance (7e film), Superman (10e film), Les Schtroumfs Le Film, Lilo & Stitch Le Film, Les 4 Fantastiques (5e film), Mission Impossible The Final Reckoning (9e film), Karate Kid Legends (6e film)...
Sur 15 films à l’affiche, 10 sont des suites ou des adaptations. Des nouvelles choses… mais pour autant vues et revues. A quel moment a-t-on accepté de se satisfaire de si peu ?
Ça m’a tout à coup semblé d’une tristesse infinie, d’abord sur le plan moral, de manquer à ce point d’imagination en tant qu’industrie (alors que ce n’est pas les artistes qui manquent), mais ensuite sur le plan écologique, vous vous en doutez, sur lequel c’est une véritable catastrophe.
Pour rappel, le tournage d’un film français à gros budget émet en moyenne 2800 tonnes de CO2, soit la consommation annuelle d’un.e français.e pendant 280 ans. Mais nous ne nous arrêterons pas là, puisque je sers ce discours depuis déjà 2 ans, l’envie me vient d’aller plus loin.
A qui le divertissement bénéficie-t-il ?
Au-delà donc de notre propension à normaliser la production d’oeuvres audiovisuelles extrêmement polluantes qui mettent l’existence du cinéma (et du reste…) en péril : on ferme les yeux et on consomme, sans se poser de questions.
Et c’est là le deuxième point sur lequel j’aimerais attirer votre attention. En disant “On ferme les yeux et on consomme”, je ne fais finalement que paraphraser cette expression vieille comme le monde “du pain et des jeux”. Cette expression dénonce la satisfaction molle du peuple romain face au divertissement, qui l’empêchait de se soulever contre leurs empereurs dictatoriaux. Tant que l’on donne à un peuple de quoi se remplir la panse et se divertir, il obéit.
Et si le manque de diversité et d’inventivité des contenus audiovisuels actuels ne servait qu’à nouveau l’intérêt des groupes politiques liberticides, qui détruisent la démocratie à petit feu?
Je ne dis pas qu’il s’agit là d’un calcul de leur part, simplement que ça sert leurs intérêts.
Se divertir, étymologiquement, veut dire “se détourner”. En effet, un peuple qui se questionne, à qui on aura appris l’esprit critique et l’empathie, est un peuple difficile à gouverner. A l’inverse, un peuple anesthésié est un peuple qui se laisse mener au doigt et à la baguette.
Le risque que court en réalité la culture dans un régime autoritaire, ce n’est pas de disparaître, c’est d’être réduite au divertissement dépolitisé (ou pire, à un instrument de propagande, mais celui-là est plus évident donc moins pernicieux).
La culture fait partie des rares contre-pouvoirs citoyens reconnus par l’Etat (en ce qu’elle bénéficie de financements publics pour exister) et est essentielle à la santé d’une démocratie. Ainsi, dans son effondrement progressif, on peut constater au sein d’une démocratie en déclin une espèce de sélection naturelle de films pseudo apolitiques du genre “qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu”, ou plus récemment “certains l’aiment chauve” ou “y a pas de réseau”. Nous assistons à une éviction progressive des œuvres un peu trop subversives ou dissidentes.
A Hénin-Beaumont par exemple, ville française où le RN gouverne, le théâtre de l’escapade s’est vu remplacer sa programmation jugée trop engagée par des oeuvres qui le sont “moins”. Par exemple, un spectacle retraçant la vie de Brigitte Bardot (qui ne cache pas ses opinions d’extrême droite et son soutien aux élus RN de la Ville).
Cependant, je suis convaincue qu’il est possible d’allier les deux. On peut vouloir déposer son cerveau après une longue journée de travail, et pour autant consommer un contenu original, créatif, qui sort des sentiers battus (ex: Barbie, Sex Education, My Octopus Teacher…).
Il est faux de croire qu’il existe un divertissement apolitique, une tel film soufflera toujours du côté où le vent va déjà.